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S'inscrireLe Harbinger d'hiver à Bill

Note de la rédac, puisque j'étais curieux et je me suis dit que vous le seriez sûrement aussi: Bill estime que ce vélo lui a pris au minimum 400 heures à bâtir. On voit bien tout ce travail!
Avant même avoir terminé la construction de mon premier cadre, j'étais accro. J'ai pris le temps de bien réfléchir à mon second: un cadre pour affronter l'hiver de Tiohtià:ke.

D'abord, un petit mot sur cet hiver. C'est difficile d'en parler sans sembler condescendant, mais quand on lit les suggestions pour le vélo d'hiver de sources anglophones dans des articles ou des blogues, on voit bien que c'est une impression pas très sérieuse qu'ils ont de l'hiver. Ah oui, tu vis sur la côte du Pacifique ou dans l'Est américain et il pleut plus souvent pendant quelques mois? Il y aura même un pouce ou deux de neige parfois? Vite, allez mettre des garde-boues sur un vélo de route, peut-être chausser des pneus de 28mm!
On discute rarement des bancs de neige hauts comme une personne, les chaussées où il n'y a que du sel qui mangera une chaîne à tous les deux mois... Il ne faut pas trop en faire mais sans avoir senti la morve congeler dans son nez on ne parle pas de la même chose.

Il y a bien sûr des places où on fait du vélo l'hiver qui sont bien plus froides que ma ville, et la lente catastrophe du réchauffement climatique fait que les hivers sont toujours plus variables. C'est d'ailleurs ce qui rend le choix d'un vélo d'hiver pour ici plus coriace. Il y a des endroits si froids que ça ne sert à rien de mettre du sel. Oui, il fait frette, mais les conditions sont plus stables et prévisibles.
Ici par contre, le sel partout diminue le point de congélation de la glace et donc les rues sont perpétuellement mouillées. Cette bien-aimée soupe de slush salée va asperger votre vélo kilomètre après kilomètre, y coller et faire rouiller tous les métaux (oui, l'alu aussi). L'eau tout juste fondue va entrer dans les cables, pour y geler en quelques instants. Certains jours les brusques variations de température vont faire geler toute cette eau et la rue devient une patinoire, si les patinoires étaient couvertes d'ornières laissées par les voitures. Si on est malchanceux, une neige couvrira et cachera cette glace avec une couche de poudre qui glisse encore plus facilement. Si par malheur il y a un redoux, cette neige se compacte et remplit l'espace entre les pneus et les garde-boues pour augmenter la résistance.

Alors quel est le vélo idéal pour ces conditions assez spécifiques? Comme vous vous imaginez, c'est sujet à énormément de discussion. Certaines disent que c'est mieux d'avoir des pneus fins pour couper au travers la slush. Certains roulent en Fat Bike. Heureusement, ces choix et tous ceux entre les extrêmes s'ouvrent à nous, alors on peut y prendre ce qu'on préfère sans se soucier de la doctrine ou de qui a raison. Je peux donc présenter en toute humilité ce que je crois qu'un vélo d'hiver doit avoir:
- Les câbles et toutes pièces mobiles doivent être diminués ou éliminés. C'est toujours la première chose qui arrêtera de fonctionner et qui sera à remplacer. On doit garder ça simple, ce qui sauvera du temps à la longue. Si on doit avoir des vitesses, les moyeux à vitesses internes sont préférables, puisque les pièces mobiles sont relativement protégées de la météo.
- Les garde-boues sont obligatoires. C'est bien si ils sont complets, mais c'est négociable: vous allez certainement porter des bottes de toute façon, alors un simple garde-boue arrière peut très bien aller pour protéger le dos et les foufounes. Pas besoin du gros luxe.
- Les pneus doivent avoir des crampons, et depuis que j'ai essayé les pneus cloutés il y a quelques années, je n'utiliserai rien d'autre. Oui, ils sont plus lourds, mais avec leur stabilité on peut rouler plus fort. À la fin c'est souvent plus rapide.
- Le vélo doit être une vraie minoune. Réellement, une vieille affaire presque propre au dépotoir. Les beaux vélos avec de bonnes pièces vous briseront le cœur avec les pièces rouillées et démolies après deux saisons. Sauvez-vous de la peine et roulez une minoune comme vélo d'hiver.
Avec ces critères de sélection, j'ai choisi un vieux vélo de grand magasin (genre canadian-tire) des années '90 avec pattes horizontales, que j'ai monté en fixie. Il a bien répondu à mes besoins pendant dix ans.
Mais pendant ce temps, je me posais la question si un beau vélo d'hiver serait justifiable, si il était bien pensé. Si je soudais tous les trous de gabarit du cadre, pour empêcher à l'eau d'y entrer? Si les fixations au cadre étaient sans issue, pour que ça ne fasse pas de nouveaux trous? Et si je choisissais les pièces selon mes restrictions ci-haut, et que je montais un cadre en fonction?

Ça me tentait aussi d'essayer des techniques que mes cadreurs préférés utilisent. Si j'en parle c'est un hommage, pas du vol! Je vais mentionner des détails spécifiques au fur et à mesure, mais pour voir un exemple du style que je voulais atteindre, allez voir un vélo qui s'appelle Discville, du cadreur Mitch Pryor. Ce vélo est gravé dans ma mémoire depuis que je l'ai vu, et je me suis beaucoup inspiré de la combinaison de pièces neuves et d'esthétique classique.
C'était aussi l'occasion d'essayer de nouvelles idées, autant en fabrication qu'en choix des pièces. Certaines de ces expériences ont mieux viré que d'autres, comme vous pourrez constater.
Pour commencer, j'ai choisi une transmission à courroie Gates Carbon Drive. La courroie ne peut pas rouiller et ne doit pas être lubrifiée, et dure plus longtemps qu'une chaîne en toutes conditions. C'est donc un bon choix pour un vélo d'hiver, tant qu'on fasse attention de choisir le modèle de courroie qui est fait pour les basses températures. Le problème avec les courroies est toujours le même: on a besoin d'un cadre fendu pour pouvoir les installer. Ce n'est évidemment pas un aussi gros problème quand on fait son propre cadre.

Les gens ont tendance à manquer la petite césure dans la base du cadre. C'est un design que j'ai copié de Rob English (English Cycles). Le collier de serrage s'emboîte alors la connexion est très solide. Une seule vis M6, cachée dans une patte à capuche, retient le tout.

J'ai choisi d'utiliser un jeu de pédalier excentrique pour tendre la courroie, et puisque celle-ci ne peut pas s'allonger à l'usure comme une chaîne, ça n'a pas besoin de beaucoup d’ajustements. Avec ça en tête j'ai installé un boîtier PF30, plus petit. En plus j'ai pu prendre plaisir à voir la réaction des gens quand je leur disais que je bâtissais un cadre avec ce standard désuet!

Au boîtier de pédalier, j'ai également découpé de faux manchons. C'était surtout pour m'amuser, et ça m'a plu de faire des manchons qui s'interpellent partout sur le cadre. Les trois cercles sur le boîtier de pédalier et à la connexion de selle sont aussi un hommage à Rob English (pas le seul sur ce vélo).


Le moyeu arrière est un ultra-fiable Sturmey-Archer 3-vitesses avec frein à rétropédalage. Ce moyeu répond aux besoins du vélo, éliminant un câble de frein arrière et cachant plus ou moins les pièces de transmission de la météo. C'est aussi un bon choix pour une courroie, puisque celle-ci empêche entièrement d'utiliser un dérailleur. Puisque la tension de la courroie est ajustée au jeu de pédalier, l'axe arrière reste en position fixe et j'ai pu faire une attache exprès pour le bras du frein, pour que ça soit plus discret.

Bien qu'en théorie il existe avec d'autres perçages, je n'ai réussi à trouver le moyeu qu'en 36-trous. Je ne suis pas particulièrement costaud et je voulais des roues un peu plus légères, et 36 ça semblait trop de rayons. J'ai trouvé une solution dans un forum cycliste: un laçage de jante 24-rayons sur moyeu 36-rayons!
Comme vous voyez, on le fait en sautant des trous au moyeu. Ça veut dire que les angles de sortie des rayons sont différents sur les rayons menant et suivants. Pour compenser, il y a deux différentes longueurs de rayons du même côté du moyeu! La roue peut donc avoir une tension égale partout. C'était un montage de roue intéressant et difficile, et je suis heureux du résultat.

Si on avance dans la transmission, j'ai imité le Rachel de Julian dans cette nouvelle mode du moyeu Sturmey avec pédalier Dura-Ace. Celui-ci est sorti de mon bac de pièces et les bras font 177,5mm. Très cool!

La courroie Gates a besoin d'un plateau plus large qu'une chaîne, la ligne de chaîne du Sturmey est étroite, et je voulais des pneus larges et des bases courtes: ça fait qu'on commence à manquer de place. Ma solution était une anse pour remplacer une partie du tube de la base droite, que j'ai faite d'un gros morceau d'acier 4130. C'est très lourd mais très rigide! J'aime bien mon travail de finition sur cette pièce.

On avance encore, et c'est encore plus étrange. Ça mêle bien des gens de voir la potence, et on se demande comment elle est fixée à la fourche. La façon la plus claire de l'expliquer est que c'est un jeu de direction «Ahead» ordinaire, à l'envers! Normalement la fourche et la colonne de direction sont une pièce, et la potence se fixe en haut de la colonne. Ici, la potence et la colonne sont une pièce, et la fourche s'attache en bas, avec le «capot» en-dessous de la couronne de fourche pour pré-serrer les roulements de direction.
Quels sont les avantages d'un tel système? À ma connaissance, il n'y en a pas. Mais je me disais que ça aurait l'air cool et je voulais l'essayer! J'aime aussi les lignes pures d'une potence à plongeur que ça permet d'avoir, et qui vont avec le style que je voulais pour le vélo. C'est un autre truc de Rob English, le premier que j'ai vu faire une fourche avec ce mécanisme.


Et c'est pas fini! J'ai aussi fait le guidon, qui est soudé à la potence. Encore aucun avantage sauf esthétique et le plaisir de le faire. J'ai essayé de reproduire la pointe sur la potence que j'ai vu faire par Erik Estlund de Winter Bicycles.

On continue de plus en plus bizarre! Pour le frein avant, j'ai arrêté de grogner et ai bien avoué qu'un frein à disque peut être pratique ici: les freins de jante ont la vie dure sur les rues mouillées, et le sel et la crotte vont bien vite mater même les meilleures jantes en alu. Et les freins hydrauliques peuvent aussi souffrir par froids extrêmes. Ça devait donc être un frein à disque mécanique, avec l'avantage que je pouvais utiliser ce levier CLB, comme sur le vélo Discville.

J'aime que le levier doive avoir un câblage interne au guidon, puisqu'ainsi une des ouvertures de la gaine serait cachée (on se souvient du but de ce vélo!), ce qui m'a fait songer à quel point pourrais-je l'internaliser. Le guidon, la potence, et la direction étaient déjà une pièce, alors ça ne serait pas trop compliqué de passer un tube en laiton par l'intérieur à titre de guide de câble... pourrais-je ensuite le connecter à la fourche? C'est ce que j'ai tenté, pour ne pas avoir un bête câble de frein interne, mais bien Interne En Crisse™.
Cet essai, un autre juste pour rire, était un de mes moins brillants succès. Il y a beaucoup d'angles droits, certains très près, surtout dans les virages les uns après les autres au niveau de la couronne de fourche. Ça fait pas mal de friction et de résistance au câble. Vous pouvez voir un témoin de ce problème: le ressort que j'ai ajouté à la mâchoire de frein pour compenser.

Ça marche correct, et ajouter une gaine de plastique aux tubes internes aide à diminuer la friction. C'est maintenant un frein fonctionnel, si on veut être diplomatique, mais le remplacement du câble est un casse-tête qui exige de démonter la fourche. Je ne répéterais pas ce système, mais je suis content d'avoir essayé et j'aime bien l'allure simple que ça donne au vélo.
Côté fourche, j'aime les couronnes classiques et les fourreaux ovales, et c'est la seule façon que je sais bâtir une fourche. En même temps, j’étais conscient que ces fourreaux fins seraient trop légers pour résister aux forces de torsion du frein au moyeu. Ma solution pour avoir les deux était de créer une ferme de triangulation: c'est le vrai objectif des grosses tiges du porte-bagages avant.
Une fois la ferme bâtie, je me suis dit que je pourrais bien y installer une plateforme et m'en servir de porte-bagages. Quelqu'un m'a dit que ça leur rappelait l'œuvre de Joseph Ahearne, et je devais avoir en tête des images de son processus de fabrication de racks quand j'ai fait le mien.

Après j'ai continué et fait un décaleur sur mesure, soudé directement à la direction/potence, pour mon bien-aimé sac de rando Acorn.

Les feux sur un vélo d'hiver sont archi-importants, surtout en Décembre et Janvier quand il fait noir très tôt. Je voulais bien sûr un moyeu dynamo. Pour les fils, je voulais faire comme le reste du vélo et j'ai tout caché dans les tubes du cadre, avec des guides internes en laiton pour qu'il n'y aie aucune ouverture à l'acier, plus vulnérable à l’oxydation.

Je ne voulais pas un trou dans le tube diagonal du cadre, comme on voit généralement, pour bloquer l'humidité qui voudrait entrer dans le cadre, et pour cacher les fils visuellement. À la place, il y a un connecteur à ressort dans la jonction du tube de direction et du tube diagonal, qui fait un contact électrique avec un tube isolé en laiton sur la colonne de direction. Je l'ai bâti moi-même avec des pièces de la quincaillerie, quelques mois avant que René Herse sorte un système tout-fait très semblable. Bon hein. Mon système reste un peu plus compliqué pour aller avec le jeu de direction inversé: il y a aussi un connecteur à ressort dans la couronne de fourche, qui contacte un point fixe sur la direction, qui contacte un fil qui passe dans un mini trou dans la colonne de direction, qui contacte le tube en laiton mentionné ci-haut. Fiou! C'est trop compliqué pour rien, et franchement ça marche plutôt mal. J'ai déjà tout démonté et remonté pour refaire le filage du feu arrière, seulement pour constater que ça avait encore échoué. Ça risque d'être, au final, une autre expérience sans issue, mais je n'ai pas encore abandonné!

Rendu là, j'aimais vraiment le look nu du guidon, et je ne voulais rien y mettre d'autre.
La clochette et la manette de vitesse sont donc soudées directement à la potence. Un levier de vitesse pour fixer au cadre rend ça non seulement possible, mais en plus on peut s'en servir avec des grosses mitaines. Le câble de vitesses est aussi Interne En Crisse™. Les haubans style Jo Routens sont très jolis, et permettent au câble de passer de l'intérieur du tube supérieur au hauban, puis de sortir juste avant le moyeu. Ça, c'est un bien meilleur succès que le câble de frein, sûrement en lien à la simplicité relative de ce passage de câble et de l'ajustement pas trop précis que nécessite le moyeu Sturmey-Archer.

Une autre nouvelle expérience sur ce vélo, du moins pour moi, sont les jantes en carbone. Ça fait longtemps que je suis curieux d'en essayer, mais je déteste la sensation des patins de frein sur les surfaces en carbone, sans parler du fait que c'est nul d'user ainsi une telle jante pour la rendre une pièce qu'on doit remplacer (comme toute jante sur laquelle on freine, à plus ou moins long terme). C'est un peu cher pour ça, et à l'opposé d'une jante en alu, quand elle sera finie une jante en carbone va pourrir éternellement dans un dépotoir.
Mais voici enfin un vélo qui n'aura pas besoin de freiner sur les jantes, enfin ma chance d'essayer! C'est aussi un bon choix pour des roues à 24-rayons, puisque la théorie est que les jantes plus rigides en carbone ont besoin de moins de rayons. À date tout va bien, mais on verra comment ça vieillit.
Les pneus sont les Ice Spiker Pro de Schwalbe, vraiment mon pneu d'hiver préféré. On dira peut-être que c'est bien trop intense pour le vélo de ville, et c'est bien vrai! J'adore! Ils sont étrangement difficiles à dénicher avec la carcasse Evo Liteskin, la variante pliante des Ice Spiker, mais c'est le seul pneu d'hiver souple que je connaisse. Je les ai monté tubeless, histoire d'essayer ça en hiver. J'aime le confort et la basse pression!

Les tubes du cadre sont tous les René Herse Kasei, sauf les tubes Columbus VTT courbés des bases, et du 4130 générique mono-épaisseur pour la direction, la potence, le guidon, et le porte-bagages. J'ai une fois de plus choisi de la peinture thermolaquée pour sa durabilité. Le nom «Harbinger» (présage en Anglais) n'a pas de sens spécial, c'est juste pour le style. Les experts chez Magnus Coating ont pu faire le texte en poudre thermolaquée aussi, ce qui m'a vraiment impressionné! J'ai fait les lignes mille-raies moi-même sur les manchons et garde-boues, une autre première pour moi. J'ai suivi les vidéos Instagram de Brian Chapman comme si c'était un cours. Les miens sont moins beaux bien sûr, mais c'est pas mal pour mon premier essai!

Comme mon dernier cadre, celui-ci a un décal sur le tube de selle pour dire qu'il a été bâti sur le territoire du peuple Kanien'kehá:ka. Ce vélo a également un réflecteur arrière de BikeCrud aux couleurs Palestiniennes, ce qui me semble toujours important après un an de génocide et une augmentation de la violence en Cisjordanie. Si vous ne saviez pas, le melon-d'eau est devenu un symbole Palestinien après que l'occupation ait interdit non seulement le drapeau palestinien, mais aussi toute représentation visuelle de ses couleurs. L'artiste Palestinien Issam Badrl s'est fameusement fait dire que s'il peignait un melon d'eau, il serait confisqué. Depuis, le melon qui est cultivé localement est devenu un symbole de la résistance ferme du peuple Palestinien envers ses colonisateurs.


Au final, j'aime comment a abouti cette bicyclette. J'aime même tellement ça que j'ai décidé que ça serait mon vélo de tous les jours 4-saisons. Au printemps, il recevra des pneus lisses et continuera à me transporter.

C'était seulement mon second cadre, et j'ai apprécié de pouvoir me donner de nouveaux défis et essayer de nouvelles idées. C'est mon premier hiver avec, alors vous me demanderez dans un an si j'ai vraiment réussi mes objectifs...

Photos par Troy